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Comment dire le sacré ? Comment résoudre l’attrait irrésistible pour le principe de l’Unité alors que tout spectacle du réel renvoie à l’évidence troublante de l’altérité ? La musique par la magie des accords, la complexité des sons, la richesse de l’inventivité humaine, ne pouvait-elle pas, à bon droit, espérer rendre possible un tel espoir ? Ne pouvait-elle pas aller jusqu’à exercer un réel pouvoir de régénération de la nature entière, élevant les âmes, fédérant corps et esprits en un même idéal, jusqu’à ce que le mystère opère et que l’esprit de concorde des premiers commencements rejoue la symphonie initiale désaccordée par les colères humaines ?
A l’aube du XVIe siècle, en cette première Renaissance, un Frère franciscain vénitien, Francesco Giorgio veneto (Zorzi), polyglotte et érudit, releva le défi en un ouvrage encyclopédique extraordinairement original, le De harmonia mundi (publié en 1525), hymne somptueux grâce auquel il espérait, par une écriture symbolique puissante, faire réentendre, aux hommes et à Dieu, les sons oubliés de l’harmonie de la création que les conflits de tous bords menaçaient d’étouffer.
Un tel projet, salué par les rois et la papauté, pouvait alors se comprendre en ces temps où les guerres de religion n’avaient pas encore dévasté l’Europe, ni les troupes turques menacé les frontières. Mais, comment expliquer que, plus de cinquante ans plus tard, quelques courtes années après la sanglante nuit de la saint Barthélemy (1572), en un temps résolument déboussolé, un chrétien kabbaliste extrêmement renommé, Guy le Fèvre de la Boderie, n’eut de cesse de traduire la totalité de l’hymne latin en français, L’Harmonie du Monde (1578), dans l’espoir engagé que se rejoue, par et avec les accords harmonieux de l’hymne franciscain, l’avènement espéré d’une paix concordiste et harmonieuse politique autant que spirituelle.
Un tel anachronisme, hymne solaire réapparu inopinément en un décor de sang, met en perspective de façon problématique l’utopie du projet initial mais ainsi, réactualise sous des formes très modulées la quête d’un discours du sacré en quête d’harmonie en des temps susceptibles d’en avoir perdu l’image et le son. Dans son livre La métaphore musicale de l’harmonie du monde à la Renaissance Myriam Jacquemier, spécialiste de l’histoire des idées et des imaginaires de spiritualité à la Renaissance, relève à son tour le défi audacieux de redonner vie et sens à ce rêve puissant d’une paix harmonieuse née de la musicalité du monde, voulue autant par les hommes que par les Dieux. L’aventure paraît d’un autre temps mais une telle étude convoque des problématiques, des thématiques, des recherches rhétoriques d’une évidente universalité et d’une constante contemporanéité. De Platon aux derniers Valois, le lecteur suit, grâce à une écriture érudite mais engagée, les successives représentations des imaginaires politiques et religieux qui, depuis si longtemps, ont investi la musique du pouvoir sacro-saint d’adoucir les mœurs.
Myriam Jacquemier est maître de conférences honoraire, docteur en langue et littérature de la Renaissance, musicienne et quelque peu ouverte aux arcanes de la psychologie dite « des profondeurs ». Dans son premier ouvrage, L’Âge d’or du mythe de Babel (1480-1600) : de la conscience de l’altérité à la naissance de la modernité, elle s’intéressait déjà aux ressources rhétoriques et politiques du discours mythique à la Renaissance et aux mouvements d’idées qui, par le jeu de modulations sémantiques, permettaient à une époque donnée de se donner, par la réécriture des mythes, une nouvelle représentation de soi et du monde. Concernant le de harmonia mundi et sa traduction autour des problématiques musique-symbolisme-sacré, plusieurs dizaines d’articles ou de conférences ont nourri les premières étapes de la rédaction de ce travail.
SOMMAIRE
INTRODUCTION
Première Partie
UN MONDE D’HARMONIE, principe cosmologique et traditions philosophico-théologiques.
Chapitre I : UNITÉ et DIVERSITÉ, le principe harmonique.
I : De l’Un au multiple ou les voix de la création
II : Le monde comme Diapason.
III : Le concept d’« harmonie » : une polysémie féconde.
IV : L’âme est-elle une harmonie ?
V : La musique mondaine : propédeutique au retour, aspiration à l’unité.
Conclusion
Chapitre II : AMOUR ET HARMONIE, kabbale, christianisme et néoplatonisme
I : La magie de la langue hébraïque
II : Amour et Beauté au cœur de l’âme humaine pour Plotin.
III : Harmonie et perception chez Augustin
IV : La révolution ficinienne.
V : I Dialoghi d'Amore de Léon Hébreu : l’harmonie en échec ?
Conclusion
Deuxième Partie ÉCRITURE et SPIRITUALITÉ
Chapitre I MYSTIQUE et PRÉDICATION, l’ambivalence franciscaine
I : L’écriture hymnique : héritage et actualisation
II : Une structure ternaire exemplaire : musique et architecture
III : « Il est bien raisonnable que la maniere d’escrire convienne à ce que nous essayons de tracer à nostre pouvoir » : un jeu complexe de métaphores.
IV : Une métaphore privilégiée : un « Livre de Vie »
Conclusion :
Chapitre II UNE ÉCRITURE MORALISTE
I : Les forces en présence : une rhétorique du combat
Lequel ayant obtenu, elle prenne derechef le corps ia revestu d’incorruption, immortalité & nature d’esprit, afin qu’unis ensemble, ils ne soyent jamais dissous ni de la separez & ne reçoyvent iamais dissonance dond aucune tristesse ne puisse estre engendrée.
II : L’aide des Vertus
III : Les noms du Christ
Conclusion
Chapitre III LA PAROUSIE PAR L’ÉCRITURE
I : Donner une forme à l’indicible : les images métaphysiques.
II : Une mystique du sensible
III : Un prédicateur myste et mystique
Conclusion
Troisième Partie MUSIQUE CÉLESTE, MUSIQUE MONDAINE, harmonie et pouvoir
Chapitre I L’ORPHISME RENOUVELÉ, un nouvel ordre de relation entre musique et discours
I : Appropriation des héritages
II : Luther et les chorals allemands : une autre manière de « vivre » le chant.
III : Musiciens et « compositeurs, chantres et joueurs d’instruments », une individualisation
des gens de métier. IV : Ronsard, le rêve orphique et les chansons à la « lyre ».
V : Une poésie « altiloque » par « musique et compas » dans les Amours de Ronsard (1552).
Conclusion
CHAPITRE II LE MODÈLE ACADÉMIQUE, entre nostalgie et modernité
I : Careggi : un rituel fondateur
II : 1570 : Face aux extrêmes, la posture néoplatonicienne d’un monarque initié.
III : L’Académie de Poésie et Musique de Charles IX : du mythe à sa réalité.
IV : Une nouvelle définition de l’espace et du temps.
V : De la musique des sphères à une musique d’ordre.
Conclusion
CHAPITRE III Guy Le FÈVRE de La BODERIE, LECTEUR et TRADUCTEUR de Georges de Venise, autres temps, autres mœurs
I : Les poètes scientifiques après 1560.
II : L’hymne franciscain adapté à l’actualité de son traducteur.
III : l’Harmonie selon Mersenne ou la science de Dieu
Conclusion
CONCLUSION
Une parfaite imitatio du réel
La musique comme substitut à la langue des origines
Un palimpseste
Individu et sacré
BIBLIOGRAPHIE
SOURCES PREMIÈRES
ÉTUDES CRITIQUES citées ou consultées.
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